Recherche-action de solutions techniques, socio-économiques et financières adaptées au logement social au Cameroun : la chaîne du logement social
Expérience pilote de construction de 10 logements sociaux à Nkolkoumou – Yaoundé - Cameroun
Achille Noupeou, janeiro 2011
Origine du projet
Les dispositifs mis en place par l’Etat pour assurer l’offre de logements sociaux au Cameroun est très en deçà des besoins puisque depuis dix ans, moins de 200 logements ont été construits alors qu’on estime le déficit par an à 80 000 logements pour les seules villes de Douala et Yaoundé, capitales respectivement économique et politique du pays. Des réformes sont donc nécessaires, en particulier l’adoption d’une véritable politique stratégique pour le logement social favorisant l’émergence des acteurs de l’économie sociale et solidaire telles que les coopératives d’habitat.
C’est d ans ce sens qu’a été élaborée la proposition de stratégie nationale pour la promotion et le financement du logement social, dans un processus de concertation pluriacteurs (société civile, Etat, privé) qui s’est étalé sur deux années. Le document finalisé est disponible depuis février 2010 et depuis, le Réseau National des Habitants du Cameroun (RNHC) mène une action de plaidoyer forte à l’égard des décideurs gouvernementaux en vue de son adoption.
Ce document stratégique comporte douze propositions. Afin de rendre ce plaidoyer plus convainquant, le RNHC et ASSOAL ont initié un projet pilote visant à mettre en œuvre à petite échelle certaines de ces propositions afin de prouver leur faisabilité et leur pertinence. Une étude approfondie visant à déterminer les solutions adaptées au logement social au Cameroun a été menée. Trois solutions ont été retenues : l’accès à la propriété individuelle ou collective via les coopératives d’habitat, la restructuration des quartiers spontanés, le logement locatif. C’est la première solution qui est mise en œuvre à Nkolkoumou, inspirée des expériences des pays visités par l’équipe du RNHC tels que le Mali, le Pérou ou l’Afrique du Sud.
Concept : la chaîne du logement social
La chaîne du logement social est un ensemble de six organes interagissant entre eux afin de permettre l’accès des familles modestes à un logement décent et à moindre coût.
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1) Au centre, la coopérative d’habitat, entreprise et association à la fois, elle regroupe des ménages souhaitant mutualiser leurs moyens pour accéder à un logement.
2) La coopérative d’habitat est appuyée par le Bureau d’Appui aux Mutuelles et Coopératives d’Habitat qui met à disposition de ces structures les compétences qu’elles n’ont pas elles-mêmes les moyens de s’offrir (architecte, urbaniste, sociologue, juriste, expert financier) pour la réalisation de l’ensemble des étapes de leur projet de logement social, de l’idée à la réalisation, en passant par la gestion.
3) L’unité de production des matériaux locaux, en particulier des briques de terre stabilisées dans le cas présent, garantit à la coopérative d’habitat un approvisionnement en matériaux de qualité, respectant les normes et à moindre coût.
4) Les coopératives d’habitat peuvent également s’approvisionner auprès de la centrale des matériaux pour le logement social qui négocie les matériaux auprès des grossistes afin de les revendre à bas prix. Cette centrale d’achat devrait en outre bénéficier de mesures d’incitations fiscales que l’on souhaiterait voir mettre en place par le gouvernement, comme la baisse de la TVA sur les matériaux de construction destinés au logement social.
5) L’entrepreneur spécialisé dans la construction en matériaux locaux regroupe tous les corps de métiers pour la construction selon les normes techniques des logements en matériaux locaux. Il vise à développer un secteur indispensable à la promotion du logement social au Cameroun.
6) Pour se financer, la coopérative d’habitat peut avoir recours au fonds rotatif pour le logement social, alimenté par les partenaires publics nationaux et internationaux et qui octroi des crédits sur dix ans pour un taux compris entre 0 et 2%.
Objectifs et enjeux
A l’égard du gouvernement et de l’ensemble des acteurs publics et parapublics, l’enjeu est de faire reconnaître les coopératives d’habitat comme acteur incontournable dans la promotion et la construction des logements sociaux au Cameroun. Il s’agit également de tester la faisabilité des solutions proposées et d’amener l’Etat à prendre les mesures adéquates pour les mettre en application.
Pour les coopératives d’habitat, leurs membres, et les différents acteurs intervenant dans la chaîne du logement social, il s’agit d’un processus d’apprentissage où chacun apprend à jouer son rôle pour la satisfaction de la demande en logement social. Cet apprentissage met particulièrement l’accent sur la bonne gouvernance et la bonne gestion du projet pour que celui-ci puisse être pérenne et durable et puisse être reproduit à la fois au cours d’autres phases et par d’autres structures.
Déroulement du projet
Le projet a démarré par deux études de faisabilité, l’une en milieu urbain à Yaoundé, et l’autre en milieu rural à Koutaba, région Ouest du Cameroun. Elles visaient à établir les types de logement les mieux adaptés à la zone et à la culture locale (superficie du terrain, architecture des constructions, nature des matériaux à utiliser, habitat individuel ou collectif, concession familiale …), le profil socio-économique des potentiels coopérateurs, leurs besoins et leurs souhaits, leur capacité financière, les coûts de construction en fonction du modèle de logement retenu …
Suivons l’exemple du projet pilote de Yaoundé. Un terrain de 1851 m² a été acheté dans la zone de Nkolkoumou à quelques kilomètres du centre ville. Un groupe de potentiels coopérateurs a été constitué avec l’aide du BAMCH sur la base des études de faisabilité. Ceux-ci se sont réunis en assemblée constituante et se sont accordés sur les statuts de la coopérative. Le BAMCH accompagne cette coopérative d’habitat naissante, constituée d’une vingtaine de membres, pour consolider les organes de gouvernance (conseil d’administration, comité de surveillance), et mettre en place les procédures de bonne gestion.
Le chantier, quant à lui, a démarré en juin 2010 par la fabrication des briques de terre stabilisées et aujourd’hui les trois premières maisons sont en cours d’achèvement (finitions). Pour le GIC GAC, entreprise communautaire créé par un groupe de jeunes ouvriers et manœuvres, ce chantier-école était l’occasion d’acquérir une technicité avec l’appui des techniciens de la MIPROMALO (Mission de Promotion des Matériaux Locaux) du Cameroun et du Collectif Urbain du Pérou venu en mission d’échanges d’expériences à Yaoundé. Ils sont ainsi aujourd’hui capables de construire une maison en briques de terre stabilisées des fondations à la toiture en passant par la plomberie et l’électricité.
Une campagne médiatique et de mobilisation des partenaires a été lancée à l’occasion de la semaine de l’Habitat qui a lieu chaque année début octobre. Les autorités publiques, en particulier le Ministère du Développement Urbain et de l’Habitat n’ayant pas souhaité intégré la visite du chantier dans le programme officiel, celle-ci a été organisée, par ASSOAL, en marge de la cérémonie officielle, en direction à la fois des média et de divers partenaires nationaux et internationaux. Cette démarche constitue une des étapes du plaidoyer visant à faire reconnaître par les pouvoirs publics l’apport des coopératives d’habitat et de la société civile dans le secteur du logement social.
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Les résultats de cette expérimentation sont capitalisés au fur et à mesure et partagés avec les promoteurs de coopératives d’habitat des autres villes du pays via le RNHC, afin de les appuyer dans le démarrage de leur propre projet.
Données pratiques
Échelle territorial : Yaoundé
Public cible : les ménages à revenus modestes, les coopératives d’habitat, les autorités compétentes dans le secteur du logement social, les décideurs politiques, les acteurs publics et parapublics du logement social
Acteurs du projet : ASSOAL, le RNHC, Coop-Habitat Social, le Bureau d’Appui aux Mutuelles et Coopératives d’Habitat, le GIC GAC, le GIC Mahamum, la MIPROMALO
Durée actuelle : un peu moins d’une année
Résultats actuels : trois maisons en cours d’achèvement, appropriation en cours du processus par les coopérateurs, campagne médiatique autour du projet, engouement de plusieurs partenaires clefs en faveur du projet
Financements : ASSOAL via le PDQUD (Programme de Développement des Quartiers Urbaines défavorisés) financé par la DUE et CORDAID, SCAC, recherche de financements complémentaires
Analyse de la fiche d’expérience à la lumière des 10 principes de la gouvernance
1. Se fonder sur une approche territoriale et le principe de subsidiarité
La phase d’étude a vu l’élaboration de modèles de logement selon les zones écologiques (zone forestière, zone de montagne, littoral, grand nord), et cela pour tenir compte des spécificités de chaque territoire et de ses ressources. En outre, deux projets pilotes sont en cours, l’un en zone urbaine à Yaoundé la capitale, et l’autre en zone rurale à Koutaba dans la région Ouest afin de tester l’implémentation de démarches qui tiennent compte des réalités socio-économiques de territoire.
Il est clair que le projet joue actuellement des rôles qui devraient normalement revenir à l’Etat, tel que la gestion du Fonds Rotatif pour le Logement Social, ou la création et le développement du Bureau d’Appui aux Mutuelles et Coopératives d’Habitat. Mais l’objet est justement de plaider pour que l’Etat joue ce rôle qu’il semble avoir ignoré jusqu’à maintenant, de même pour les collectivités territoriales décentralisées.
2. Instituer un dialogue au sein de communautés plurielles
Les coopératives d’habitat sont fondées sur le principe de l’ouverture à toute personne ayant un besoin de logement quelle que soit son appartenance ethnique. Elles regroupent également à la fois des fonctionnaires et des commerçants du secteur informel, favorisant ainsi la mixité sociale. Mais quoiqu’il en soit, chaque coopérative est libre de se constituer sur les principes de base qu’elle se choisit et de définir ses propres règles. Les échanges sont favorisés par la mise en relation des coopératives entre elles via le RNHC et le BAMCH.
3. La gouvernance remet l’économie à sa place
Ce projet vise précisément à faire reconnaître que par une véritable synergie des acteurs le logement peut devenir un droit pour tous et non un simple bien marchand spéculatif. Par l’intermédiaire des coopératives d’habitat, la famille et ses besoins sont au cœur du projet de logement.
Le projet privilégie en outre l’utilisation des matériaux locaux pour réduire les importations et l’impact environnemental. Néanmoins, la gestion des ressources naturelles ne fait pas véritablement partie des réflexions centrales de ce projet.
4. Se fonder sur une éthique universelle de responsabilité
Le projet a une grande responsabilité au sein de la société camerounaise puisqu’il représente un espoir pour des milliers de camerounais qui vivent dans des conditions précaires. La mise en place des différents organes de la chaîne de logement social vise précisément à gérer le projet de la manière la plus transparente possible.
Les valeurs portées par le projet sont : la solidarité, la responsabilité mutuelle, la prise de décision démocratique, le bon voisinage, la bonne gestion. Ces valeurs ont retenu l’accord de principe des coopérateurs, l’épreuve de l’expérience évaluera leur portée.
5. Définir un cycle d’élaboration des décisions et contrôler les politiques publiques
Le projet est né précisément de la faillite des pouvoirs publics à remplir la mission qui leur était assignée en matière de logement social. Le projet a été élaboré par un collectif d’acteurs de la société civile avec la collaboration d’acteurs du public et du privé.
Par ailleurs, les organes démocratiques ont été mis en place au sein de la coopérative afin que les décisions stratégiques soient prises de manière collective.
A la fin de cette phase pilote, une évaluation de la mise en œuvre du projet sera réalisée afin de partager les résultats à la fois avec les autres promoteurs de coopérative d’habitat, et avec les autorités compétentes pour qu’elles les intègrent dans leurs politiques publiques.
6. Organiser la coopération et les synergies entre acteurs
Ce projet vise précisément à des changements institutionnels dans le traitement de la question du logement social. Celle-ci a été inscrite depuis plusieurs mois dans l’agenda politique de notre gouvernement sans que cela ait été suivi de changements concrets à ce jour.
7. Concevoir des dispositifs cohérents avec les objectifs poursuivis
L’objectif de la phase pilote est de tester le dispositif conçu pour permettre aux ménages à revenus modestes d’accéder à un logement décent à moindre coût. Des ajustements sont réalisés au fur et à mesure de cette expérimentation pour rendre le projet cohérent, sachant qu’il est certain que des failles existent au démarrage du projet.
8. Maîtriser les flux d’échange des sociétés entre elles et avec la biosphère
L’information est diffusée via les réseaux mis en place par le RNHC et ASSOAL (site internet, journaux mensuels). Le capital social est amplement valorisé car ce sont les savoirs et savoir-faire des différents membres du « groupe plaidoyer habitat » qui ont permis de concevoir dans un laboratoire d’idées ce projet et la chaîne du logement social. En outre, la coopérative repose sur les connaissances, compétences et motivations de ses membres qui, chacun à sa mesure, apportent leur pierre à l’édifice.
L’empreinte écologique du projet n’a pas été mesurée.
9. Gérer la durée et savoir se projeter dans le temps
Il est clair que les rythmes des habitants, de la société civile et du gouvernement sont loin d’être harmonisés. Les habitants ont un besoin urgent en logement, tandis que le gouvernement n’a toujours pas pris certaines dispositions qui sont en discussions depuis des mois. Même si des rendez-vous réguliers avaient été fixés entre les partenaires et plus ou moins respectés grâce aux initiatives et au dynamisme de la société civiles, l’administration n’a pas respecté les échéances prévues pour ce qui était de sa prérogative et semble parfois jouer la montre.
Concernant la chaîne du logement social et les différents organes qui la composent, le calendrier des réunions et des rencontres est en train d’être mis en œuvre, pour vérifier la pertinence de la périodicité fixée.
10. De la légalité à la légitimité, de l’utilité, des valeurs et des méthodes
Le besoin auquel répond ce projet est celui de se loger, et il est incontestable et de grande ampleur au Cameroun. Les valeurs et principes communs sont en cours d’appropriation, on les a cités plus hauts, ils sont inhérents au système coopératif si on veut que celui-ci produise les résultats.
La chaîne du logement social est quant à elle fondée sur un principe de transparence afin justement de ne pas reproduite l’opacité gouvernementale en matière de gestion des politiques publiques que nous contestons. Cette transparence visa à rétablir la confiance entre les citoyens camerounais et les promoteurs de projet, en l’occurrence ici de logement social.
Notes:
Fiche rédigée par Aude Cuzon, Responsable du Bureau d’Appui aux Mutuelles et Coopératives d’Habitat, à l’ONG ASSOAL, Cameroun
Fontes :
D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html