Les coopératives Longo Maï en France : autogestion et solidarité internationale

Julie DUCHATEL, juillet 2008

Longo Maï (du provençal « que ça dure longtemps ») est un réseau de coopératives d’élevage, d’agriculture, d’artisanat et de petite industrie implantées en France, Suisse, Autriche et Allemagne, qui existe depuis plus de 30 ans. C’est un réseau assez difficile à décrire formellement car riche en expériences sociales et humaines et porteur d’une dynamique régionale et internationale rarement développée par d’autres coopératives en Europe.

Eléments historiques

En 1972, dans la foulée des idéaux proclamés symboliquement lors de mai 1968, des groupes de jeunes (nommés Spartakus en Autriche et Hydra en Suisse) décident de créer lors d’un congrès fondateur à Bâle des « communautés européennes de jeunes » conçues comme des « zones expérimentales d’une Europe solidaire, pacifique et démocratique, par une vie commune et l’autosubsistance issue du travail dans l’agriculture, l’artisanat et l’industrie sur une base coopérative, (…) des semences d’une Europe dans laquelle on n’échange pas que des marchandises mais des hommes et des idées, et qui relie les peuples entre eux. »

Parmi leurs principes fondamentaux, toujours d’actualité à Longo Maï, on peut citer la forme coopérative, l’autosubsistance par l’agriculture et l’élevage, la gestion commune de l’énergie et des besoins de base, l’organisation d’une production artisanale et industrielle collective adaptée à des niveaux de consommation locaux, puis régionaux et européens, le partage des tâches entre hommes et femmes, le rejet du salaire et l’autogestion.

En 1973, un premier village pionnier (Longo Maï) est créé sur un terrain de 280 hectares en Haute-Provence, à Limans, près de Forcalquier. Fonctionnant sur la base d’une vie commune solidaire et égalitaire, d’une mise en commun des biens, des revenus et des forces du travail. Cette coopérative a pour but de choisir et d’organiser les activités productives génératrices de revenus dans l’agriculture et l’élevage. Par la suite, Longo Maï s’oriente vers la vente de vêtements, de cosmétiques, de conserves… tout en adoptant dès le début un comportement respectueux de l’environnement (les économies d’échelle de la vie en communauté réduisant la consommation d’eau par exemple). Longo Maï s’intègre aujourd’hui bel et bien dans le paysage de la Haute-Provence, malgré quelques attaques politico-judiciaires à ses débuts et a réussi à semer son mode de fonctionnement et son esprit un peu partout en Europe.

Dynamique sociale et construction du réseau

Le réseau de coopératives Longo Maï s’étend aujourd’hui à Briançon en France (la filature de laine Chantemerle qui traite 12 à 15 tonnes de laine par an), à Eisenkappel en Autriche (Hof Stoppar), dans le Jura suisse (la ferme le Montois), à Saint Martin de Crau en France (le Mas de Granier), en Haute Ardèche en France (Treynas), dans le Lubéron en France (la Cabrery) et à Ulenkrug en Allemagne. Mais c’est beaucoup plus qu’un réseau, c’est surtout le « pôle dynamiseur » d’un vaste mouvement social peu commun.

En effet, et c’est bien la spécificité de Longo Maï et certainement une des raisons de sa longévité, les « Longos » (ceux qui partagent les expériences de cette coopérative) n’ont jamais voulu s’isoler en produisant de façon alternative et en se refermant sur leur monde. Dès le début, ils ont multiplié les campagnes de solidarité, comme par exemple celle portant sur l’accueil de 2 000 exilés chiliens, menacés par le putch de Pinochet, dans des communes suisses, des actions de solidarité avec les Indiens Guaranis au Paraguay, le soutien aux jeunes « muchachos » du Nicaragua en lutte contre le dictateur Somoza, la création d’une coopérative de réfugiés nicaraguayens au Costa Rica – toujours active aujourd’hui pour la défense de la petite paysannerie –, la création du Comité européen de défense des réfugiés et immigrés (CEDRI), du Forum civique européen (FCE) (1) pour le soutien des processus de démocratisation des pays de l’Est, le soutien au Syndicat des ouvriers de la campagne (SOC) qui défend les travailleurs saisonniers sans papier et immigrés exploités dans le Sud de l’Andalousie (El Ejido entre autres), etc. Forte de toutes ces mobilisations, Longo Maï a développé et tissé toute une série de liens avec des syndicats, des associations, quelques partis politiques, un peu partout dans le monde et a créé un radio locale « Radio Zinzine » et publie des journaux, dont l’excellent mensuel Archipel.

Longo Maï impulse ainsi de nombreuses campagnes solidaires (des coalitions à géométrie variable suivant le thème) à destination du grand public, renforçant le concept de citoyenneté active et développant en même temps son réseau de soutien et d’amitiés.

Succès de la campagne pour la filière laine

Longo Maï s’est très tôt investie dans la filière laine avec la création, au début des années 1980, d’une filature moderne « Chantemerle » près de Briançon dans les Hautes-Alpes. Cette filature permet de transformer la laine et a débouché sur la création de plusieurs ateliers de produits finis qui sont écoulés dans les magasins de la région. Tissant de solides relations avec les éleveurs, les tondeurs, les artisans, les experts-lainiers, Longo Maï a cherché à revitaliser une filière en déclin et s’est opposé, à partir de sa ferme du Montois dans le Jura suisse au projet du Conseil fédéral visant à supprimer le service public de collecte et de tri de la laine des éleveurs du pays. Ce projet avait pour but d’inciter les industriels à se retourner vers le marché mondial pour s’y approvisionner. Ce projet menaçait donc les petits éleveurs de montagne. Longo Maï a recueilli plus de 20 000 signatures et a organisé en octobre 2002 une manifestation devant le Palais fédéral à Berne qui fit la Une de tous les journaux nationaux. Suite à cette mobilisation, le Parlement confirma le soutien de la Suisse à la production lainière nationale et créa un fonds spécial d’aide. Ce succès est dû au large réseau de soutien développé et alimenté par Longo Maï et à sa constante mise en relation de l’idéologie (attachement aux services publics, lutte pour le maintien des petits paysans, la solidarité humaine,…) et des actions pratiques, de terrain et politiques.

Note:

Notes

Cette fiche est un résumé des articles de Jacques Berguerand, « Longo Maï : de la ferme à l’engagement politique », et de Marc Ollivier, « Une expérience internationale de recherche autogérée : les ‘chercheurs de survie’ du réseau ‘Longo Maï’ », publié dans l’ouvrage collectif Produire de la richesse autrement : usines récupérées, coopératives, micro-finance,… les révolutions silencieuses, PubliCetim n°31, octobre 2008, éditions du CETIM, Genève. ISBN 2-88053-059-5, 6 € - 10 CHF.

Jacques Berguerand est arrivé en 1973 dans la coopérative Longo Maï et ne l’a plus quittée. Il travaille essentiellement dans le domaine de l’élevage et de l’agriculture. Il anime régulièrement l’émission « Le génie des alpages » sur Radio Zinzine et est impliqué dans de multiples activités de la coopérative. Marc Ollivier est chercheur en sciences sociales au CNRS. Ces extraits sont tirés de Marc Ollivier, d’après un article du même titre que précédemment, paru dans Avec les paysans du monde, éd. refondue des numéros 136 et 136 de la revue Informations et Commentaires – Le développement en questions, Association pour un nouveau développement, Grenoble, 2007. Voir le site dédié au livre perso.orange.fr/paysans.du.monde, contact : marc.oll (at) wanadoo.fr

Contacts de Longo Maï en Suisse : Longo Maï, St Johanns-Vorstadt 13, 4004 Bâle. Tél. : +41 (0)61 262 01 11 ; Longo Maï, Ferme du Montois, 2863 Undervelier. Tél. : +41 (0)32 426 59 71. Contact en France : Le Pigeonnier, 04300 Limans. Tél. : +33 (0)4 92 73 05 98.

Sources :

D-P-H (Dialogues, Propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale) www.d-p-h.info/index_fr.html. Dossier: Produire de la richesse autrement, CETIM